Écrits


Retour au menu

2014 - Lettre aux quatre murs

 

Les caprices de la météo sont capables de contrarier les projets les plus ardents, de décider à notre place d’un autre emploi du temps pour cause de mauvais temps. Il en est ainsi de la marée pour le marin, des intempéries pour le cultivateur et le couvreur-zingueur. Toutes ces contraintes ont quelques vertus pédagogiques, elles nous ramènent à notre condition. Lorsque la Nature se refuse à nous, pourquoi s’en formaliser ? Elle ne se donne pas facilement, il faudra insister à nouveau. Oubliez les “trop chaud ou trop froid”, les “trop de passants curieux ou trop de vent aujourd’hui”.

Lorsque les contrariétés du peintre s’apaisent, quand toutes autres mauvaises excuses se dissipent, quand finalement l’aventurier est disposé à repartir à l’assaut, quand le peintre enfin joyeux se pique au jeux amoureux de sa maîtresse et découvre ses intimes secrets, tout artifice lui paraîtra bien fade. La nature est comparable à une amie que l’on désire retrouver autrement que dans de mélancoliques souvenirs. Une photographie ne saurait remplacer la présence physique de l’être cher. Mais notez bien; dessiner ou peindre d’après une photographie est strictement interdit. Cette prise directe sur le vif rend le trait acerbe et nerveux, transforme une attitude passive de spectateur en participant actif. Le monde vivant nous réveille à la vie, éveille aux sensations.

Dommage de s’inspirer, répétons le bien, d’une plate photographie. Des peintres vous assureront qu’il n’y a pas de différence entre leurs tableaux peints d’après une reproduction et un autre sur site. Doit-on en conclure qu’ils n’ont donc pas plus de sensibilité devant le motif que devant un cliché ? Sur le papier glacé aucune lumière ne peut nous aveugler, aucun vent ne fera danser la cime des arbres. Mettre les voiles dépend du sens du vent, c’est par son souffle que cheminent les parfums, les sonorités, chaleur ou fraîcheur, humidité ou sécheresse. Toutes sensations qui comme des couleurs caressent notre peau, piquent de son sel nos lèvres, ondulent sur nos cheveux et font s’envoler notre chapeau. Laissez-vous bousculer un peu, que l’on titille un peu votre cœur ensommeillé.

Toutes les rencontres offertes à nos regards ne sont que miroirs et reflets changeants. Le rayonnement du soleil se disloque en un chatoiement de brillances complexes. Cette vie circule en tous sens dans l’épaisse consistance de l’espace vide qui nous entoure. Nous-même baignons dans cet espace en feux. Que la lumière s’atténue derrière d’épais nuages et la magie de la vie s’amoindrie déjà.

Calméjane, 5 septembre 2013 ©


“Sensation”, poème d’Arthur Rimbaud : “... Je ne parlerai pas, je ne penserai rien. Mais l’amour infini me montera dans l’âme. Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien, Par la Nature,-heureux comme avec une femme.”



 

(Suite)


Yves Calméjane
Le site

Toute reproduction, représentation ou diffusion du contenu de ce site, en tout ou partie, sur quelque support que ce soit ou par tout procédé, est interdite.Le non respect de cette interdiction constitue une contrefaçon susceptible d'engager la responsabilité civile et pénale du contrefacteur.