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2010 - SUR LE TEMPS QU'IL FAIT


Notre environnement est noyé d’images décoratives, publicitaires, informatives qui s’ajoutent à la production plus ou moins heureuse de trop nombreux artistes. Ceux qui parviennent à vivre de leur art et que l’on dit “professionnels” ne sont pas toujours les plus avancés dans leur discipline. La maîtrise ne fait pas la vente. Les adeptes des loisirs créatifs et les peintres amateurs envahissent la production de notre époque avec leurs images de sensibleries désuètes. La tâche n’est pas aisée de définir ce qui tient de l’amateurisme ou non, car la surprise émerge en dehors de toutes définitions, le talent sourit tout aussi bien aux autodidactes. L’éveil est plus fondateur que le savoir. Pour passer maître, tout professionnel a besoin de l’exercice journalier de son métier, mais une production (artisanale, artistique ou industrielle) ne peut exister sans clientèle. La nécessité de revenu qui exige une seconde activité ne laisse pas suffisamment de temps. L’essentiel n’est pas de vivre de son art mais de vivre afin de bien servir son art. L’amateur se fait plaisir dans les instants où l’envie lui prend, mais le professionnel se donne une vie pour le plaisir de ses clients. Trop de gens voient le travail de l’artiste comme étant un plaisir devenu de surcroît et abusivement rémunérateur. Le peintre ne devrait pas laisser son travail se dévaloriser en offrant son ouvrage ou en payant pour exposer.


La reproduction en chaîne de peintures réalisées par une main d’œuvre bon marché, comme par exemple en Chine, est si dévalorisante pour l’objet peint, qu’en comparaison, le peintre du dimanche peut nous paraître authentique. Doit-on se plaindre de cette démocratisation qui rend accessible à tous, la décoration de leurs murs. Doit-on regretter les souvenirs touristiques de nos congés payés, les petits cours du soir et stages dispensés par les peintres eux-mêmes, le prix des fournitures devenu accessible, les allocations de retraites devenues mécènes ? Il est fréquent de constater que nos amis musiciens se prennent moins rapidement pour des artistes et acceptent plus volontiers la lenteur de tout apprentissage. L’époque est telle que l’adulte débutant qui se sent exclu, inversant les rôles, accuse avec légèreté les gens d’expériences d’être présomptueux. On sait bien que la simplicité est la marque des plus grands et qu’ils demeurent à vie des étudiants. On leur donnerait volontiers le devoir de se montrer plus corrosifs car ils sont souvent trop gentils. Une différence entre l’amateur et le peintre est que le premier s’intéresse aux détails et aux aspects superficiels, tandis qu’à l’inverse, le peintre envisage prioritairement son travail selon une vision à la fois large et profonde.


L’accès à la culture étant ce qu’il est, le public mis en face de l’art contemporain peine à trouver de nouveaux repères. Le dépouillement vers l’essentiel, qui est un des principes fondateurs de l’art moderne rentre en confusion avec ce qui n’est que simpliste ou vide. Quand à la liberté d’expression, elle n’a pourtant jamais été un permis à tous les errements. C’est par cette brèche que nombre de personnages se croient légitimés. Il est trop rare de rencontrer des formes qui dépassent la forme. Bien que le refus de cette modernité ait conduit un grand nombre à se replier vers le passé, fallait-il condamner la peinture et la figuration ? Des raisons légitimes ont donc conduit les artistes contemporains au rejet de toutes formes empruntées par les amateurs et les peintres commerciaux, sans autre discernement. Aussi, pour les peintres figuratifs de notre temps, la tâche n’a pas été simple. La dualité entre le peintre et l’artiste contemporain s’estompe et ce début de siècle se présente comme l’avènement de toutes les libertés d’approche du métier. Les mentalités évoluent vers des reconnaissances mutuelles de qualité à qualité au delà des clivages. Quant au marché de l’art, la règle étant avant tout de vendre et à d’autres niveaux de spéculer, les valeurs véhiculées ne sont pas prêtes de s’effondrer.

Un nombre de peintres figuratifs, plus important qu’on ne le croit, exerce régulièrement en atelier leur sens de la composition par des pratiques abstraites. Ces travaux d’études, en ce qui me concerne, ont la valeur d’un simple assouplissement et appartiennent aux Arts Appliqués. J’ai constaté que nombre d’artistes contemporains non figuratifs ont recours, par une démarche inverse, à du dessin classique pour exercer mains et regards. Métiers identiques pour le figuratif comme pour le non figuratif que seul une inversion sépare. Le choix de l'un ou de l'autre est là où s'enregistre la qualité de l'émotion.


La clientèle qui achète de l’art n’est pas toujours celle qui se laisse émouvoir par un travail, car les avis se fondent sur de la notoriété et non pas sur un jugement personnel. L’art est un luxe qui permet à une classe de paraître au niveau de la classe du dessus. Pour répondre à cette demande là, le vendeur et son artiste font briller des artifices et des valeurs plutôt contestables. Les commanditaires publiques et les aides apportées par les organismes d’état sélectionnent les artistes selon des critères indirectement influencés par le marché. Le besoin d’accéder à cette manne poussent les plasticiens à se conformer aux valeurs établies. Mais où sont les amateurs de peinture, nos clients ? Pour qui donc travaillent tous ces artistes puisque leur public est principalement grossi par leurs amis peintres ? Il sont des milliers de petits mondes qui se congratulent entre eux. Il existe pourtant de véritables amoureux de peinture qui offrent à de rares artistes une vie dédiée pleinement à leurs œuvres. Je remarque qu’au delà de la qualité de leurs tableaux, ces heureux peintres ont en commun d’être doués d’un certain charisme qui conforte leurs images d’exception. Malheur aux personnalités trop discrètes et aux identités sans reliefs apparents.


Le concept à la mode dans le milieu des Arts Plastiques est que toute production se doit de refléter l’époque à laquelle elle appartient. Je pense que ce phénomène est nécessairement automatique dans la mesure où l’œuvre est simplement vraie et que toutes démarches artificielles pour atteindre ce signe est tricherie. Mais le manque de véracité inverse qui consiste à imiter des anciens par leurs aspects anecdotiques est considérablement plus contestable, à l’exemple des “peintres pompiers”. Cet objectif de paraître actuel est tellement puissant qu’il entraîne un grand nombre d’artistes à forcer les choses, jusqu’à devenir finalement des suiveurs de mode. Les mondanités ne font pas la profondeur réelle d’une époque et d’un lieu. Les manières du présent comme les manières du passé sont des maladies de l’esprit. Cette attraction des modes est de tout temps désapprouvée et fuit par les maîtres. Si l’on regarde pour comparaison du côté de la chanson, la “variété” utilise la mode et la panoplie de toutes les nouveautés. Ainsi peut-on entendre dans les tubes des années soixante les mots “juke-box” et “tourne-disque” tandis qu’au cours des mêmes années Brassens chantait le “phonographe”. Doit-on comprendre que Sheila et Ringo sont des artistes contemporains et Georges Brassens un poète ringard ? Le rapport à l’actualité a d’avantage d’être plus pertinent. Les idées ne sont pas toujours utilisées comme une stratégie de séduction. Mais exploiter le domaine de l’art à des fins d’affichage militant n’appartient pas à l’engagement de l’artiste mais à l’engagement du politique.


Il s’expose des toiles qui bien que réalisées avec de la peinture ne sont pas des peintures. Vous trouverez aussi des œuvres sans peintures qui sont des peintures. La tâche n’est pas aisée de définir ce qui tient de l’œuvre, de l’artisanat, de la décoration, du design, de la signalétique ou de la communication. Il s’ouvre à nous continuellement d’autres pistes heureuses ou malheureuses, mais les plus mauvais d’entre nous le prouvent en figuration comme en non-figuration, en objet peint comme en objet non-peint.

Les manières esthétiques, les arrangements décoratifs et l’utilisation du charme de la couleur conduisent naturellement vers des ouvrages, que des gens très gentils trouvent très jolis. Les plus sérieux d’entre nous appliquent servilement leurs techniques bien apprises, et en effet, cela se voit en figuration comme en expérimentation, qu’ils s’appliquent. Sur quel piste de cirque déambulent les jongleurs de pinceaux ? Ils font virevolter des traces avec de violentes gestuelles. Ils s’imaginent habiles, et en effet, ils sont seulement habiles. Ils sont très nombreux et pourtant très doués, par crainte de paraître mièvres, à surenchérir leurs créations d’astuces, d’intrigues et de bizarreries de toutes sortes. Pour sortir franchement du lot, ils utilisent des sujets morbides ou violents, des ambiances lugubres ou froides. Les chemins artificiels ne manquent pas de splendides usagers.


Les redresseurs de tort, en voulant dénoncer leur époque, nous fabriquent un environnement qui nous ramène là où nous sommes et plus bas encore, cependant qu’ils prospèrent. Les grandes stars des Arts Plastiques, afin d’être plus contemporaines soufflent un vent de froidure et un vide singulier. Il y a des artistes qui utilisent des métiers qu’ils ont eux-mêmes inventés, ils en parlent habilement mais ne savent pas mieux que nous en apprécier la finalité. Peut-être comptaient-ils sur nous ? Ils expérimentent des chemins nouveaux mais ils exposent trop souvent des essais scolaires, des exercices d’étudiants. Pour mieux se justifier, en voici qui analysent leurs démarches avec des concepts, des discours, des notices techniques et des modes d’emploi. Il y a aussi des malins sympathiques qui se moquent de tout, qui détruisent tout, et donc sont plus forts que tout. Les conditions du vingtième siècle ont obligé l’homme de l’art à user de provocations dans le but d’occuper l’attention, mais cette sorte d’affichage n’est pas leur seul vrai talent. Toute “esbroufe” est aujourd’hui inutile car “l’artiste” a perdu de son attrait médiatique. Aujourd’hui plus qu’hier, l’art officiel est l’ennemi de l’homme vrai. Que les investisseurs se le disent, l’argent n’est pas l’avenir de nos cultures. L’esprit, comme la semence, comme la ressource en eau, n’est plus à vendre.


Calméjane,
Fés, février 2010 ©

 

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Extrait dans le courrier des lecteurs dans AZART, Le magazine international de la Peinture, n° 47 Novembre-Décembre 2010 :



http://www.azart.fr

 

(Suite)

 

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Yves Calméjane
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